la Vie après la mort (suite & fin) 4° conférence

LA VIE APRES LA MORT

 

4° conférence : 26 mai 1924.

 

 

Comment arriver à la connaissance du monde spirituel

 

 

Celui qui aspire du plus profond de son être à la connaissance du monde suprasensible, se voit généralement indiquer des voies et des moyens qui prennent leur origine dans l’antiquité. S’il les étudie de plus près, en suivant le développement de l’humanité, il se trouve en présence de ce qu’on appelle les Mystères. Les Mystères se déroulaient dans des lieux où l’on cultivait, d’une part la vie religieuse, qui se pénétrait de l’élément spirituel, de l’autre ce que nous appelons maintenant

la connaissance scientifique. L’élément spirituel pénétrait également dans cette seconde forme de la conception humaine ; enfin l’Art jouait un rôle important dans les Mystères. Ainsi l’élément spirituel qui pénétrait la religion, le culte et la science, se manifestait extérieurement à travers l’art, et devenait ainsi directement perceptible au monde des sens. Si l’on regarde bien au fond des choses, on s’aperçoit que l’humanité qui aspire vers le monde supérieur, vit encore aujourd’hui de ce que la tradition lui a apporté de l’antiquité.

Je ne voudrais parler, au cours de cette conférence, ni de ces traditions antiques, ni des anciens Mystères, mais d’une nouvelle manifestation de Mystères, de la possibilité de trouver une nouvelle vie vers le monde suprasensible, car, grâce à tous les progrès accomplis récemment dans le domaine des sciences naturelles, de nouveaux horizons se sont ouverts à la connaissance humaine et ont agrandi l’importance de cette voie.

Lorsque nous regardons à l’intérieur de nous-mêmes, nous y trouvons la Pensée, le

Sentiment et la Volonté. Dans ces trois formes d’activité de notre âme, la Pensée seulement, lorsqu’elle est complètement saine, est indépendante de notre corps physique. Celui qui peut s’abandonner complètement, de toute son âme, à la pensée abstraite, sait bien qu’il n’est possible de concevoir des lois logiques et indépendantes que parce que la pensée saine d’un homme normal est libérée de son corps physique. Ce n’est que lorsque l’homme commence à penser pathologiquement, et quand des éléments maladifs entrent dans sa pensée, que cette dernière devient fonction de son corps.

Que signifie ceci ? Simplement qu’aussi longtemps que la pensée est saine, elle évolue en dehors du corps, et elle ne se replonge dans le corps et, en s’y replongeant, ne retombe dans l’inconscient, que si elle devient malade.

 

Il n’en est pas ainsi de notre Sentiment ni de notre Volonté. Dans son état normal, notre sentiment est immergé dans le corps physique, et nous n’en sommes que vaguement conscients, comme s’il s’agissait d’un rêve. Le sentiment est entièrement solidaire du corps physique. Il en est de même pour la volonté. Nous ne sommes pas conscients, dans notre vie ordinaire, de l’acte même de volition, parce que cet acte est profondément enfoui dans notre être corporel.

Si nous voulons arriver à une connaissance supérieure, nous devons développer en nous de nouvelles facultés humaines qui seraient aussi indépendantes de notre corps physique que l’est notre pensée normale, mais qui pourraient en outre percevoir les mondes supérieurs. Nous devons décomposer cette pensée ordinaire, qui, dans l’état où se trouve actuellement l’humanité, ne peut concevoir que le monde perceptible aux sens.

Dans les Mystères anciens, c’est par des procédés extérieurs qu’on arrivait à libérer les facultés spirituelles de l’organisme corporel. Représentons-nous bien clairement l’action que produit sur notre âme un son, un bruit qui s’évanouit rapidement, mais qui nous effraie néanmoins.

Cette impression rapide ne nous donne pas le temps d’incorporer dans notre être physique le sentiment précis qui traverse notre âme, et si nous faisons succéder l’un à l’autre les sentiments de peur, de frayeur, de terreur, nous arrivons à maintenir l’élément animique en dehors de l’élément physique. C’est de cette manière que, par des procédés choisis avec une grande méthode, on réussissait, dans les Mystères antiques, à libérer l’âme du corps physique. Des scènes dramatiques, qui inspiraient la terreur et qui élevaient la vie de l’âme à une grande hauteur pour la laisser retomber ensuite, étaient représentées de manière à faire vivre l’homme dans un état au cours duquel son âme restait en dehors du corps. Lorsque l’homme revenait à son état normal après avoir contemplé ces scènes, il restait évident pour lui qu’il avait réussi, pendant ces expériences, à voir un monde qui d’habitude lui était fermé, aussi appelait-il ce monde, le monde suprasensible. Mais ces moyens purement extérieurs, qui, dans les Mystères antiques, revêtaient, pour la plupart, la forme de culte, ne sont plus bons pour l’humanité de nos jours. Ils exigeaient que ceux qui étaient amenés

à une connaissance supérieure, formassent une caste séparée. Les Mystères se déroulaient dans des lieux soigneusement isolés. Ils étaient sévèrement ordonnés par des prêtres qui savaient guider leurs manifestations extérieures de telle manière que les hommes qui les contemplaient pendant des années, pussent acquérir l’habitude de maintenir leur âme indépendante de leur corps, et de pénétrer avec cette âme indépendante dans le monde spirituel.

Un homme moderne n’aurait aucune confiance en des guides qui seraient obligés d’avoir recours à de pareils moyens pour pénétrer dans le monde spirituel. Cette méthode exigeait que le disciple fût complètement isolé du monde, et, en règle générale, on n’avait autrefois confiance en un homme vivant dans le monde spirituel, que s’il était absolument séparé du reste de l’humanité.

Aujourd’hui, au contraire, on ne peut avoir confiance en un homme de science que s’il participe pleinement à la vie et ne reste étranger à rien de ce qui se passe dans l’humanité. C’est pourquoi la vie d’aujourd’hui et la vie de demain exigent d’autres voies, pour pénétrer dans le monde spirituel, des voies qui puiseraient leur source dans l’âme, et qui permettraient au disciple de ne point dépendre d’expériences et d’impressions extérieures. Je voudrais vous parler de méthodes qui mènent à la connaissance du monde spirituel, en agissant inconsciemment dans le fond de notre âme, mais qui néanmoins conduisent aussi sûrement que les anciennes méthodes des Mystères à la connaissance des mondes supérieurs, c’est-à-dire à l’initiation.

Dans mon livre intitulé Comment arrive-t-on à la connaissance des Mondes Supérieurs, traduit en français sous le nom d’Initiation, j’ai exposé, l’une après l’autre, les méthodes modernes menant à l’initiation. Je voudrais me permettre de vous dire, ce soir, ce que sont en principe ces méthodes.

Il faut débuter sur le chemin de la connaissance des Mondes Spirituels en élaborant, par une discipline spéciale dans notre vie intérieure, le monde et les forces de nos pensées.

Dans la vie ordinaire, nous nous abandonnons aux impressions du monde extérieur ou aux pensées qui nous viennent de l’intérieur. Et, même si nous développons une initiative dans ces actes ordinaires de la conscience, nous restons généralement passifs dans notre pensée, dépendants du monde extérieur ou de notre monde animique intérieur. L’homme d’aujourd’hui tient même particulièrement à cette passivité de la pensée, car il craint d’entrer dans le domaine de la fantasmagorie s’il modelait lui-même sa pensée.

Mais l’homme qui veut pénétrer dans le monde suprasensible doit se défaire complètement de l’habitude de penser ainsi. Il doit rendre sa pensée active. J’ai donné à cette pensée active un nom employé depuis l’antiquité, celui de méditation. Lorsque nous méditons, nous ne nous abandonnons pas purement et simplement, au fil de notre pensée, à des impressions extérieures ; nous choisissons, par la force intérieure de notre vie animique, une représentation aussi simple et aussi claire que possible et nous la plaçons au centre de notre conscience. En bannissant alors tout autre sujet de pensée, nous dirigeons, pendant un certain temps, l’activité de notre âme uniquement vers cette représentation. Pendant que nous nous occupons ainsi, activement, de toute notre âme, d’un seul sujet, il se passe dans nos forces animiques un fait qui se produit d’habitude dans notre corps physique lorsque, par exemple, nous employons toujours le même muscle pour un travail précis. Ce muscle se développe et se fortifie. De même, les forces animiques se développent et se fortifient intérieurement si l’activité de l’âme est toujours dirigée sur le même sujet. Ce sujet doit être clair et précis, car il ne doit contenir rien qui vienne de l’inconscient. Nous devons concentrer notre pensée, entièrement, avec toute la précision dont fond de notre âme. Il ne faut jamais choisir un sujet compliqué qui soit puisé dans nos souvenirs, qui soit lié par le sentiment ou par le raisonnement à d’autres représentations. Le choix le meilleur serait fait de la manière suivante : nous prenons un livre tout à fait inconnu, que nous n’avons jamais lu, nous l’ouvrons à n’importe quelle page, nous en lisons une phrase dont le contenu n’a pour nous aucun intérêt particulier. Nous plaçons cette phrase au centre de notre conscience et nous nous en occupons uniquement. Pendant un certain temps, nous concentrons sur cette phrase toute notre vie animique. Mais il est encore préférable de nous adresser à quelqu’un en qui nous ayons confiance, qui soit expérimenté dans ce genre d’exercice et de nous faire donner par cette personne un sujet spécial de méditation. Si c’est un clairvoyant, il saura, rien qu’en nous voyant, quel est le sujet qui doit être choisi pour nous.

Si nous prenons ainsi une représentation que notre conscience puisse facilement embrasser, si nous concentrons notre pensée et si, en la maintenant concentrée, nous méditons sur cette représentation, nous voyons peu à peu notre manière de penser se modifier complètement. Notre pensée cesse d’être abstraite et froide, elle devient imagée ; nous acquérons la faculté de penser en images d’une grande richesse, faculté qui va même jusqu’à la rendre colorée.

Nous voyons des tableaux qui sont comme des rêves vivants, mais qui ont un caractère animique tout autre. Ils s’introduisent dans notre conscience et nous arrivons à connaître des choses qui pour nous n’avaient jamais existé auparavant. Il nous devient possible de penser aussi méthodiquement qu’un logicien ou un mathématicien, mais non plus d’une manière abstraite, en ne recherchant pas les lois de la nature ; nous parvenons à penser en images dont nous ne savons même pas d’où elles nous viennent.

Cette première étape sur la voie de la connaissance du monde suprasensible peut être appelée la connaissance imaginative. Nous devons la développer pour pénétrer dans la première sphère du Monde Spirituel. Si l’exercice dont nous avons parlé est répété suffisamment longtemps, le temps n’est pas toujours le même, il dépend de l’individu, pour quelques-uns il faut des années, pour d’autres des mois seulement, l’homme qui pratique la méditation arrive à voir se dérouler devant lui, lorsqu’il pense, une série de tableaux comme cela arrive quand on rêve, et cette pensée imaginative est aussi parfaite que l’est d’ordinaire la pensée abstraite.

Ce n’est qu’après avoir fait des progrès suffisants dans la pensée imagée, que l’on devient conscient du fait que telle pensée-tableau ne descend pas dans le corps physique, mais reste libre et indépendante. On se sent alors être entièrement dans cette libre pensée imagée, on y vit pleinement comme on vivait auparavant dans le corps physique, on se sent, après cette transformation, vivre dans un second être plus subtil, tout comme on se sentait auparavant vivre dans son corps physique par l’ensemble des expériences de la vie ordinaire, par ce qui vient du corps et entre dans l’âme au moment où l’on éprouve de la peine ou du bien-être. On a réussi à libérer de l’emprise du corps physique ce second être, et on peut dire, ayant vécu cette expérience intérieure : ce n’est plus seulement dans mon corps physique que je me sens vivre, je vis aussi dans un corps éthérique fait d’une substance plus fine et plus subtile. On apprend ainsi, par expérience, qu’un second être vit dans le premier.

De même que l’on perçoit le monde physique par les organes du corps physique : les couleurs par l’œil, les sons par l’oreille, de même lorsqu’on se sent vivre dans le corps éthérique, on peut percevoir avec ce corps, qui est organisé comme le corps physique, un nouveau monde qui n’existe pas pour le corps physique. Le premier nouveau monde que l’on perçoit ainsi, est celui de notre dernière vie sur la terre. Nous voyons, simultanément, en un panorama majestueux, tous les événements qui se sont déroulés consécutivement dans le temps, toute notre vie terrestre depuis le moment actuel où nous vivons, jusqu’à notre naissance. Ainsi les objets s’alignent ensemble dans l’espace, nous voyons au cours de cette revue de notre vie les événements de notre huitième année revenir simultanément avec ceux de notre quinzième, vingtième ou cinquantième année. Le temps devient espace, et nous apprenons à distinguer avec précision les tableaux de ce magnifique panorama des souvenirs ordinaires de notre vie. Ces souvenirs ordinaires sont pâles et faibles ; ils nous viennent en pensées et en images détachées, tandis que le tableau que nous revoyons est d’une grande richesse, puissamment coloré, si j’ose m’exprimer ainsi. Mais nous le voyons aussi comme nous voyons les objets extérieurs.

Nous savons maintenant qu’en revoyant ainsi d’emblée un espace de temps prolongé, notre vie apparaît au regard de notre âme, et nous comprenons qu’un élément spirituel et animique se meut et agit en nous à tout instant de notre vie terrestre, depuis le moment de notre naissance ou plutôt celui de notre conception. Cet élément se condense et devient force de croissance, force nutritive, tout ce qui se meut et s’agite dans notre corps physique, mais qui constitue néanmoins une force spirituelle, celle que nous entrevoyons lorsque nous nous élevons au premier degré de la connaissance supérieure. Nous apprenons ainsi qu’en dehors de notre corps éthérique il y a un monde éthérique, duquel notre corps éthérique fait partie et avec lequel il est en d’autres relations que celles qui existent entre le corps physique et le monde physique. Dans le monde physique je puis dire que je me trouve ici, tandis que l’objet que je vois est là-bas. Je conçois les objets comme étant complètement séparés de moi, en dehors de moi. Mon corps éthérique, au contraire, fait partie intégrante du monde éthérique comme l’un de mes membres fait partie de tout mon organisme. Et tout comme mon doigt, par exemple, est l’un des membres de mon corps, le corps éthérique n’est qu’un membre de l’univers éthérique. Nous sommes bien plus étroitement liés au monde qui se trouve derrière le monde physique, que ne l’est avec ce monde le corps physique. En apprenant à connaître le monde éthérique, nous franchissons le premier degré vers la connaissance des mondes supérieurs, et c’est ainsi le premier des mondes auquel nous arrivons sur le chemin de la connaissance suprasensible.

On arrive donc au degré de la connaissance supérieure que j’ai décrit jusqu’ici comme une pénétration dans l’être humain, qui se développe comme une seule unité depuis la naissance jusqu’à la mort, qui se transforme, mais qui subsiste pendant toute notre vie terrestre, alors que les éléments matériels que nous assimilons sont ensuite rejetés par notre corps de sorte que notre corps physique se renouvelle constamment pendant la durée de notre vie sur la terre.

Mais notre corps éthérique reste le même depuis notre naissance jusqu’à notre mort.

Si l’on veut toutefois ne point s’arrêter à ce premier degré de la connaissance suprasensible, on doit développer à l’intérieur de l’âme un second mode de connaissance. Pour arriver au premier degré nous devions activer et fortifier notre pensée, afin de pouvoir nous sentir et nous reconnaître dans notre corps éthérique. Pour nous élever au second degré de la connaissance suprasensible, nous devons éliminer de notre conscience tout ce que nous aurons gagné en fortifiant la pensée. Quand nous aurons bien inclus dans notre âme un sujet de méditation et que, sur ce sujet, nous aurons concentré toute la force de notre pensée, il faudra que nous abandonnions de nouveau ce sujet. Vous savez quel est l’état dans lequel passe l’homme lorsqu’il rejette de son âme ce qu’elle embrasse d’ordinaire, c’est-à-dire le monde perceptible aux sens, il s’endort. Son âme se paralyse peu à peu, mais dans le cas que nous considérons, cela ne doit pas se produire et cela ne se produit pas.

Il est très difficile d’expulser de la conscience une représentation qui y a été introduite avec force, plus difficile même que d’expulser de l’âme la représentation qui s’y trouve d’ordinaire, mais, lorsqu’on y réussit, il s’introduit dans l’âme quelque chose qui n’y avait jamais été. Un vide complet de la conscience se fait dans l’âme de l’homme. En apprenant à sentir profondément son propre corps éthérique, l’homme arrive à s’abstraire, à se libérer de tout le monde sensible, de toute la pensée ordinaire. Il commence à vivre dans une région plus élevée. Mais s’il élimine de son âme cet élément supérieur, le tableau de sa vie qu’il avait créé, sa conscience devient vide, et il passe à un état qui a une grande importance pour toute connaissance supérieure. C’est un état de veille pendant lequel l’âme reste vide. Nous dirigeons vers le vide du monde une conscience fortifiée, et, en le faisant, nous ne nous endormons pas, nous restons éveillés, mais, pendant un instant, nous n’avons devant nous que le néant. Cet état ne dure pas longtemps. Lorsque nous avons maintenu ainsi notre conscience de veille dans un état de vide absolu, un monde spirituel pénètre en nous, un monde qui n’est pas notre corps éthérique, ni rien qui s’en approche, mais un monde spirituel qui est infiniment loin de nous. Le monde spirituel réel pénètre dans l’état de veille, dans la conscience vide, qui doit y être préparée par une longue discipline de l’âme, dont je n’ai pu exposer ici que les lignes principales.

Car on ne réussit pas au cours de la première expérience à rendre vide la conscience. Il faut répéter l’exercice bien des fois. Pour les uns il faut des années, pour les autres, plus doués selon le destin, des mois seulement, pour arriver à maintenir la conscience vide et éveillée en même temps, afin que le monde spirituel puisse y pénétrer.

On pourrait dire, évidemment, que cette pénétration dans le monde spirituel n’est que suggestion ou auto-suggestion. On pourrait demander par quoi se distingue une suggestion de ce que l’initié appelle le monde spirituel réel ? Ce n’est qu’en vivant l’expérience que l’on peut faire cette distinction. Ceci est comparable à l’expérience que l’on pourrait faire avec deux fers, dont l’un ne serait chaud que dans l’imagination, tandis que l’autre le serait réellement. On ne se brûle pas avec le premier, tandis qu’on se brûle avec le second. On vit ainsi de même, dans le mode spirituel, des faits réels qui pénètrent dans la conscience vide. Comme on peut par expérience discerner un fer chaud qu’on touche d’un fer qui n’est chaud que parce qu’on se le représente tel, on sait aussi, simplement par l’expérience vécue, comment distinguer la réalité spirituelle d’une autosuggestion.

Dans le livre, dont je vous ai déjà parlé, j’ai appelé cette seconde étape de la connaissance suprasensible, la connaissance Inspirée. C’est une désignation qui date de l’antiquité, et il ne faut pas la rejeter, car on est obligé d’avoir une terminologie précise.

La discipline qui arrive à la connaissance inspirée, se sent vivre, pour ainsi dire, dans un troisième être. Il y a donc en premier lieu l’être physique, puis l’être éthérique, enfin un troisième être. Quand on vit dans ce troisième être, on n’est pas seulement complètement indépendant, grâce à la pensée fortifiée et imagée du corps physique, on se trouve absolument en dehors de ce corps physique. On est arrivé à l’état qu’on pourrait appeler : la vie dans l’esprit et en dehors du corps physique. L’homme qui est dans cet état peut quitter également son corps éthérique, c’est-à-dire qu’il peut expulser complètement de sa conscience toute représentation, même le panorama de sa vie qu’il avait réussi à embrasser tout d’abord ; donc il arrive à plonger dans l’inconnu tout ce qu’il tient de sa vie terrestre et il peut vivre en dehors de ses êtres physique et éthérique.

Quand l’homme s’est élevé à cet état, son regard rétrospectif ne va plus seulement jusqu’à la naissance ou à sa conception, il pénètre bien plus loin dans le passé. Nous plongeons alors notre regard dans le monde spirituel, dans lequel notre âme et notre esprit ont vécu avant de descendre dans le monde physique. Nous nous voyons agir et vivre dans ce monde spirituel, tout comme nous voyons notre être humain vivre dans le monde physique. Nous apprenons que le germe physique que forme notre nature doit s’unir avec l’élément qui vient du monde spirituel et que nous pouvons contempler maintenant. Et si nous sommes arrivés au degré de connaissance où nous pouvons nous séparer de nos corps physique et éthérique après que le moment de notre pénétration dans le monde spirituel est passé, nous dirigeons de nouveau notre regard vers nos êtres physique et éthérique.

Nous comprenons alors que notre âme et notre esprit ne sont, dans la vie terrestre, qu’une image de notre essence animique et spirituelle, image qui existait avant que nous ne soyons descendus sur la terre. Au moment précis où nous rentrons dans notre corps physique et éthérique, nous acquérons la force de la perception individuelle avec des contours précis. Après avoir vécu en dehors de notre corps physique et éthérique, tout en ne nous y replongeant pas complètement, comme auparavant, nous apprenons à distinguer les entités spirituelles d’un monde supérieur auxquelles nous étions unis avant notre naissance, aussi nettement que nous distinguons les différentes personnalités humaines. Nous apprenons à connaître des êtres qui ne descendent jamais sur la terre, qui ne revêtent jamais de corps physique, qui sont des esprits divins. Nous avons vécu avec eux dans le monde spirituel avant de descendre sur la terre. La faculté de vivre tantôt en dehors et tantôt à l’intérieur de notre corps, mais toujours en relation avec le monde spirituel et animique, nous permet de reconnaître, parmi les esprits supérieurs avec lesquels nous vivions avant notre vie terrestre, les âmes qui attendent le moment de descendre sur la terre, où elles vivront plus tard comme nous avons vécu déjà. Ainsi, en parvenant au degré de la connaissance Inspirée, nous apprenons à connaître l’élément éternel de l’être humain qui, de notre temps, reste voilé même pour la religion. On ne se retourne plus volontiers aujourd’hui vers la vie prénatale. Même ceux qui pratiquent la religion ou ceux qui s’en tiennent aux traditions, ne veulent connaître que ce qu’il y a après la mort, car la mort est ce qui nous attend encore, alors que l’homme existe déjà, et ce qui est dans le passé n’a pas d’intérêt pour lui. Dans son égoïsme il ne s’intéresse qu’au second aspect de l’éternité, à l’immortalité. Le langage moderne n’a même pas de mot pour l’autre aspect, l’existence prénatale, qui est aussi infinie que l’immortalité, mais qui s’étend dans un autre sens.

En réalité, on n’apprend à comprendre l’éternité de l’existence humaine que lorsqu’on peut employer les mots dont se servent pour désigner l’éternité les langues antiques qui attachaient au mot de prénatalité la même importance qu’à celui d’immortalité. Pour l’initiation nouvelle, la vie éternelle de l’être humain se compose de nouveau de la prénatalité et de l’immortalité. À l’égard de l’immortalité, les hommes doivent se contenter de la foi ; mais j’apprends à connaître mon existence prénatale, j’acquiers la certitude que mon être spirituel a existé avant ma naissance physique, lorsque je parviens à voir en moi, non seulement l’élément immortel, dont je vais parler dans la dernière partie de ma conférence, mais aussi l’élément prénatal.

Quand on est parvenu à se libérer de son corps physique et de son corps éthérique, et qu’on vit parmi les esprits, comme on vivait auparavant dans son corps physique parmi des objets et des entités physiques, on se sent encore être un homme, un Moi individuel et précis. On a le sentiment déterminé qu’il suffit de faire un voyage rétrospectif à travers le cours des temps pour se trouver dans le monde où l’on a vécu avant la naissance. Et si l’homme, qui se trouve dans le monde des esprits en dehors de son corps physique et de son corps éthérique, tourne son regard vers le monde des astres, ils ne lui apparaissent plus comme des étoiles, mais comme des mondes où vivent des entités supérieures ou inférieures ; partout où l’oeil physique voit une étoile, il y a maintenant un  monde d’êtres.

Quand l’homme arrive à vivre dans le monde des astres comme dans un monde spirituel,  tout comme avant il se sentait sur la terre vivre dans un corps physique, on peut dire qu’il est arrivé à vivre dans un corps astral, comme, au cours de la première étape de la connaissance supérieure, il vivait dans un corps éthérique, car il se trouve maintenant à l’intérieur du monde spirituel des astres.

Si l’homme veut continuer à progresser, il doit ajouter à la connaissance imaginative et à la faculté de maintenir sa conscience vide, un troisième moyen de connaissance que la science d’aujourd’hui ne considère presque jamais comme tel. C’est une faculté qui joue un rôle immense  dans la vie humaine, mais à laquelle d’ordinaire on refuse le pouvoir de jouer aussi un rôle dans la science. C’est la force humaine de l’amour. L’amour, qui permet à l’homme de s’approcher de l’être  qu’il aime par son corps physique, et, par conséquent, par l’âme et par l’esprit incarnés dans ce corps. Nous devons développer cette force et pénétrer d’amour d’abord notre vie dans le corps éthérique et ensuite notre existence sur le plan astral ; nous ne sommes plus limités alors à la  connaissance et à la vie dans notre corps physique, mais, en fortifiant et en répandant notre amour, nous arrivons non seulement à voir des êtres supérieurs, mais nous entrons aussi en relation avec des entités spirituelles, tout comme auparavant nous vivions sur la terre avec des hommes, car maintenant nous sommes nous-mêmes des esprits.

L’intuition permet d’entrer en relation avec des esprits, comme les sens physiques permettent aux hommes d’être en rapport avec des êtres physiques. Mais, si nous avons suffisamment développé notre faculté d’aimer pour que les entités spirituelles nous semblent aussi objectives que l’est pour nous le monde physique, nous pouvons alors, non seulement voir l’existence prénatale de notre esprit, mais aussi les vies prénatales d’autres êtres, et nous connaissons comme des réalités les vies humaines entre la naissance et la mort, puis l’existence entre la mort et une nouvelle naissance, ainsi que les vies antérieures, terrestres et spirituelles. Nous vivons toute l’existence dans les vies terrestres successives et dans la série des vies spirituelles.

Nous apprenons à voir nos vies terrestres précédentes et nous nous apercevons que notre vie actuelle est une répétition de ces vies. Mais personne ne parvient à voir ses vies précédentes et ne peut savoir en général s’il a existé auparavant, sans avoir développé la faculté d’aimer, au point de pouvoir se regarder, tout comme on regarde un autre être, ou comme un autre être nous regarde. Il doit y avoir une différence puissante entre la connaissance ordinaire et cette connaissance imprégnée d’amour, qui nous permet de voir nos existences terrestres antérieures, tout comme l’existence d’un autre homme dans le présent.

Quand nous nous élevons au degré que j’ai appelé connaissance Intuitive, et qui doit être réellement intuitive, notre œil spirituel voit nos « Moi » des vies passées comme des êtres agissants dans le monde spirituel. Ce n’est qu’alors que nous nous trouvons entièrement en dehors de notre vie physique. Celui qui vit avec cette expérience sait ce qu’est la mort. Il la voit comme une réalisation objective, extérieure de ce qu’il a acquis par la connaissance. Il est arrivé par la connaissance à se débarrasser de son corps physique et de son corps éthérique ; il sait que la mort aussi le débarrasse de ces deux corps, et qu’il entre, par la porte de la mort, dans un monde spirituel.

La foi devient certitude, la croyance connaissance. Ce que nous appelions auparavant immortalité est maintenant pour nous une science exacte et sûre. Nous regardons notre immortalité, notre entrée dans une vie d’outre-tombe, comme nous regardons notre vie prénatale ; mais nous jetons aussi nos regards sur ce qui se passe, sur la terre, entre des hommes unis par des liens de famille, par l’amour

ou par l’amitié. Nous contemplons tout cela. De même que par la mort l’homme perd son corps physique, tandis que son âme monte vers le monde spirituel, nous voyons l’amitié, l’amour perdre tout l’élément physique qu’ils avaient sur la terre ; une vie commune, intime et imprégnée par  l’âme, commence pour les êtres humains que le destin a réunis sur la terre, qui ont ensuite passé par  la porte de la mort et qui se retrouvent dans un mode d’existence supérieur. Ce n’est que grâce à la science moderne de l’initiation qu’on peut arriver à voir ce à quoi d’ordinaire on est obligé de croire et à savoir comme une réalité que l’immortalité est l’autre face de l’éternité.

C’est ainsi que l’homme s’élève, par la connaissance imaginative, jusqu’à voir le spectacle de ce qui existe entre la naissance et la mort. Ayant acquis cette connaissance, il s’élève jusqu’à son  corps éthérique. La connaissance Inspirée le conduit à son corps astral et lui permet d’entrer dans le  monde où il a vécu avant sa naissance et où il vivra après sa mort. C’est par le corps astral qu’on apprend à connaître les existences prénatales et post-mortelles des hommes. En s’élevant ensuite à la connaissance Intuitive, on parvient à voir le quatrième organisme de l’être humain, le Moi réel et éternel, qui passe d’une vie terrestre à une autre et qui, dans les intervalles, entre ses vies, existe  comme une entité purement spirituelle.

Après avoir esquissé en quelques traits les principes généraux des chemins de l’Initiation moderne, je voudrais pour conclure dire ceci : lorsqu’on considère la connaissance des mondes supérieurs à laquelle on arrivait dans l’antiquité, comme je l’ai décrit au début, par les manifestations extérieures des cultes, on s’aperçoit que cette connaissance était plutôt imaginaire, instinctive. Mais c’est de cette connaissance imaginaire et instinctive qu’est née et que s’est maintenue finalement, dans les traditions, la certitude des hommes au sujet de l’existence d’un monde spirituel et suprasensible. Même aujourd’hui on peut sentir que les hommes possèdent, plus qu’ils ne le pensent eux-mêmes, une aspiration, un désir profond de retrouver les voies qui conduisent vers les mondes spirituels. Peu nombreuses sont peut-être les personnes conscientes de ce désir, mais toutefois on peut voir, si on est qualifié pour cela, qu’il y a beaucoup de personnes qui, dans leur subconscience, aspirent aux Mystères, car elles pensent y trouver le chemin des mondes suprasensibles. Nous avons voulu faire un début modeste dans cette voie, en créant en Suisse ce que nous avons appelé le Goethéanum, lieu semblable à ceux où se déroulaient les Mystères, et où le disciple pouvait trouver, en suivant les méthodes modernes de la raison, le chemin des mondes supérieurs, comme aux temps antiques il pouvait le trouver dans les Mystères, à l’aide d’une méthode instinctive.

Des ennemis nous ont ravi cette école. Elle a été détruite, il y a quelque temps, par des incendiaires ; mais ces créations ont aussi leur éternité. Le feu matériel pouvait nous enlever l’édifice matériel, le Goethéanum, dans la construction duquel avait été incarnée la connaissance spirituelle de laquelle je viens de vous parler, mais il existe aussi un feu spirituel. Ce feu spirituel ne consume pas un édifice matériel, il le conservera toujours. Les disciples des nouveaux Mystères iront doucement, avec moins de bruit que dans les Mystères antiques, vers la sagesse spirituelle qui apportera aux hommes la connaissance si nécessaire de l’élément éternel qui est dans tout être humain et dans le monde. Car il faut à l’homme, pour penser, pour sentir et pour vouloir, pour rendre sa vie intérieure claire et harmonieuse, et aussi pour avoir dans la vie extérieure des forces et de l’assurance, il lui faut pour tout cela avoir un contact avec le monde spirituel. Et l’École Spirituelle de Dornach, située à la frontière nord-ouest de la Suisse, a pour but de développer, dans les âmes humaines, l’aspiration née de l’éternel penchant de l’humanité vers le monde spirituel.

Jusqu’ici ce penchant a persisté à travers les siècles. Ces siècles ont donné aux hommes une grande connaissance extérieure de la nature ; l’homme se trouve, aujourd’hui, de nouveau devant la porte qui mène dans le monde suprasensible, et il frappe à cette porte, car la connaissance de la nature ne donne rien à son âme.

Seuls les Mystères modernes peuvent satisfaire l’aspiration vers le monde spirituel, aspiration dont quelques hommes sont conscients, et qui existe dans la subconscience de la plus grande partie de l’humanité. Celui qui aborde avec sincérité le monde spirituel perçoit une volonté  humaine qui va naître sûrement et qui va se tourner vers de nouveaux Mystères. La spiritualité ne descendra à nouveau parmi les hommes que lorsque seront institués ces Mystères, grâce auxquels les hommes connaîtront l’esprit par des méthodes plus empreintes de raison et de clarté que ne l’étaient celles des Mystères antiques. Ces méthodes nouvelles les mèneront dans le monde spirituel et divin, et, par-là, vers la source de l’humanité.

 

 

Traduction Sophie Tomara.

 

 

 

 

 

OUVRAGES DE RUDOLF STEINER

TRADUITS EN FRANÇAIS

aux Éditions Alice Sauerwein

 

Noël, Conférence faite le 13 décembre 1907.

Les Guides Spirituels de l’homme et de l’humanité.

Résultats de recherches occultes sur l’évolution humaine.

Traduit de l’allemand par Jules SAUERWEIN.

L’Éducation de l’Enfant,

au point de vue de la science spirituelle.

Traduit de l’allemand, par E. L... ; 2e édition.

L’initiation ou la Connaissance des Mondes supérieurs.

Traduit de l’allemand par Jules SAUERWEIN, 4e édition.

Théosophie.

Traduit de l’allemand par Elsa PROZOR.

Le Seuil du Monde Spirituel. Aphorismes.

Traduit de l’allemand par Oscar CROSHEINTZ.

La Culture pratique de la pensée.

Traduit de l’allemand par Jules SAUERWEIN.

Notre Père qui êtes aux Cieux...

Traduit de l’allemand.

La Philosophie de la Liberté.

Traduit de l’allemand par Germaine CLARETIE.

Un chemin vers la connaissance de soi.

Traduit de l’allemand par Elsa PROZOR.

L’Esprit de Goethe,

d’après Faust et le Conte du Serpent Vert.

Traduit de l’allemand par Germaine CLARETIE.

Rudolf Steiner — Une autobiographie

(annoncé précédemment sous le titre Ma Vie).

Le Cours d’introduction,

donné en janvier et février 1924,

paru dans le premier fascicule des Cahiers Trimestriels de l’Anthroposophie.

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Cinq Conférences sur la Pédagogie,

données à Stuttgart en avril 1924,

publiées dans le deuxième fascicule des Cahiers Trimestriels de l’Anthroposophie.

Quatre Conférences, données à Paris en mai 1924.

En préparation

Du sens de la vie.

Goethe et sa conception du Monde.

Principes fondamentaux de thérapeutique,

par Rudolf STEINER et le Dr Ita WEGMAN.

Chez Perrin & Cie

Le Mystère Chrétien et les Mystères antiques.

Traduit de l’allemand et précédé d’une introduction par Édouard SCHURÉ, 8e édition.

La Science occulte.

Traduit par Jules SAUERWEIN, 10e édition.

Chez Fischbacher

Le Triple Aspect de la Question sociale.

Aux Éditions Alice Sauerwein

Quatre contes russes (pour les enfants)

mis en français par ALICE SAUERWEIN et illustrés par A. SCHERVACHIDÉ.

Ars Magna, Lubicz MILOCZ.

L’Action des Astres dans les substances terrestres, I.

L’Action des Astres dans les substances terrestres, II.

(L’Éclipse de Soleil du 29 juin 1927). L. KOLISKO.

Études expérimentales avec planches.

Les Cahiers Trimestriels de l’Anthroposophie,

Rudolf STEINER et son oeuvre. — Les fascicules 1 et 2 ont paru.