Lucifer, Ahriman et Sorat ou la trinité du mal dans l’anthroposophie de Rudolf Steiner

Lucifer, Ahriman et Sorat

ou

la trinité du mal dans  l’anthroposophie de Rudolf Steiner


Considéré par plusieurs comme le plus grand initié du XXe siècle, Rudolf Steiner (1861-1925) est le fondateur l’anthroposophie, ou Science Spirituelle, qui se veut une Science du Graal, un renouveau des courants rosicrucien-alchimique, manichéen, platonicien et aristotélicien, une connaissance spirituelle de l’évolution cosmique et humaine qui passe par une compréhension nouvelle de la réincarnation et du karma. Clairvoyant et rigoureusement scientifique, Rudolf Steiner a décrit les rapports entre les réalités spirituelles et le visible. Il a compris que le bien n’est pas simplement l’opposé du mal mais qu’il naît plutôt d’une tension créatrice entre deux extrêmes. Selon lui, nous sommes présentement, et plus que jamais, impliqués dans une lutte de dimension cosmique menée par l’inspirateur de la Science Spirituelle et serviteur du Christ, Michaël, pour préserver l’équilibre entre les deux pôles du mal : l’Ange Lucifer (la fausse Lumière) et l’Archange Ahriman-Satan (dieu de la Mort). Mais au-delà de cette opposition factice se dresse un troisième adversaire encore plus élevé : la Puissance Sorat, l’Anti-Christ, ou la Bête, le chef des hordes de sauterelles apocalyptiques que constituent les Archées déchus, les Asuras des hindous(1). Michaël est un ardent défenseur de la liberté humaine et ne peut donc intervenir à notre place ; il attend notre action.

Cet article, qui ne prétend pas être représentatif de l’ensemble de l’œuvre de Steiner, constitue la première partie d’un triptyque portant sur l’activité des êtres spirituels déchus, Lucifer, Ahriman, Sorat et les Asuras, dans l’évolution humaine jusqu’à nos jours. Je crois qu’une telle symptomatologie des Signes des Temps permet d’accroître notre conscience du spirituel et de développer les forces nécessaires pour tirer un bien de tout ce mal car, après tout, il n’est aucun bien dont ne puisse sortir un mal ni aucun mal dont ne puisse sortir un bien.

Lucifer et Ahriman

Ce n’est pas à l’homme que nous sommes affrontés, mais aux Autorités, aux Puissances, aux Dominations de ce monde de ténèbres, aux esprits du mal qui sont dans les cieux.
(Épîtres de Paul aux Éphésiens, 5 : 12)
Lucifer et Ahriman sont des êtres spirituels appartenant à des hiérarchies très élevées qui rejettent le fondement même de l’évolution cosmique. Ils ont en fait été commandés dans la nuit de temps par les hiérarchies supérieures afin d’initier le germe de la fermeture sur soi, de l’égoïsme, du mensonge et de la révolte contre le cours de l’évolution voulu par les dieux(2). Ces êtres des ténèbres ne sont pas plus là pour faire le mal qu’un train est fait pour user les rails : le mal est un effet secondaire de leur activité. Ils servent à ce qu’on se réveille, à ce qu’on redouble d’efforts spirituels, de même que les symptômes d’une maladie servent à alerter qu’il est urgent de mieux comprendre le corps et l’être humain total via la compréhension de ses pathologies.
 
Lucifer a son domaine dans l’Astral, le monde des désirs et des émotions que l’on partage avec les animaux mais aussi avec les Anges du Ciel, les Anges de la Terre (Deva) et les Élémentaux. L’Archange Ahriman a pour domaine l’Éthérique, le monde des forces formatrices de la nature et des forces vitales des vivants, dont est fait le corps physique des Anges, des Dévas et des Élémentaux. Lucifer est le mal qu'on retrouve à l’intérieur de soi ; Ahriman est le mal qu’on trouve à l’extérieur de soi, derrière les apparences. Lucifer, c’est la totalité des êtres spirituels qui l’ont suivi dans son infatuation égoïste. Certains d’entre eux favorisent notre spiritualisation, d’autres ne font que nous induire en erreur, flatter notre vanité et notre orgueil égoïste et nous inciter à délaisser nos responsabilités terrestres en nous faisant croire qu’on est déjà parfait, suscitant des débordements mystiques, des fièvres délirantes, des hallucinations, une régression dans les visions de l’ancienne clairvoyance atavique, instinctive, lunaire(3). Ahriman, c’est la totalité des êtres méphistophéliques ayant choisi la rébellion satanique contre le cours normal de l’évolution cosmique. Ce sont des forces de destruction qui agissent normalement dans les phénomènes de mort et de décomposition, de naissance même, mais dès qu’ils sortent de leurs limites naturelles, ils détruisent la vie du corps, de l’âme et de l’esprit en suscitant la soif de pouvoir, de plaisir et de confort, l’intellectualisme, la science matérialiste et la peur (du spirituel).

Steiner n’a pas inventé cette polarité des forces du mal : en fait, le mazdéisme persan (-4000) conçoit deux représentants du mal, Az (Lucifer) et Ahriman (Satan), tout comme Mani (216-272) le fit beaucoup plus tard dans son christianisme manichéen(4).  Le Serpent dans le Jardin, le Séducteur, le Tentateur, c’est Lucifer. Ahriman est le Dieu de la Mort, Mammon, dieu du monde matériel, inférieur, souterrain (Hadès-Pluton). L’Apocalypse de Jean raconte qu’après avoir été terrassé dans l’Abîme, le Dragon revient sous la forme de deux Bêtes : la Bête de la Mer (à sept têtes et dix cornes) et la Bête de la Terre (à deux cornes, dures comme l’acier), cette dernière annonçant l’Antéchrist, le Démon solaire du nom de Sorat, l’antithèse absolue du Christ. Dans la mythologie égyptienne, Lucifer correspond à Set, qui tua son frère Osiris, alors qu’Ahriman emprunte les traits du Typhon (5). Dans la mythologie grecque, Lucifer et Ahriman correspondent respectivement aux deux périls qui menacent Ulysse dans son périple initiatique à bord du Calypso : Charybde, le tourbillon des passions, et Scylla, les écueils du matérialisme.  

Première partie : Lucifer

Lucifer est un être extrêmement ambigu : parmi les Anges déchus lucifériens, il y a des êtres démoniaques mais aussi les êtres exaltés de sagesse, mi-hommes mi-dieux, extraterrestres, qui furent de grands enseignants pour l’humanité alors qu’elle était encore à un stade infantile. La perle de leur enseignement est la sagesse des douze boddhisattvas, qui tel un calice zodiacal porte l’Ego solaire du Christ. Comme Prométhée apportant le feu des dieux aux hommes, Lucifer est un « Porteur de Lumière » (Phosphoros); or il n’est pas la Lumière elle-même car, comme Jean l’indique au début de son Évangile, cette Lumière n’est autre que le Christ. Lucifer et le Christ sont en fait des frères jumeaux ; or on sait combien deux frères peuvent être différents. Dans un passé très lointain, au cours de la période cosmique que Steiner nomme l’ancien Soleil, le Christ s’est uni au Logos (le principe créateur du Cosmos) dans un élan de sacrifice de soi pour la Création. Lucifer voulut quant à lui tout illuminer de la lumière de son intelligence, de son indépendance et de son égoïsme sans borne (6). Il chuta ainsi de sa planète Vénus et tomba sur Terre. Ayant suivi Lucifer dans son esprit de mensonge et sa révolte, une part des hiérarchies commença dès l’ancien Soleil à prendre du retard par rapport à l’autre part qui poursuivit son développement. Au cours de la période cosmique suivante, l’ancienne Lune, une grande guerre éclata au Paradis entre ces deux factions des Anges : la légion retardataire menée par Lucifer, et la seconde menée par Michaël (qui n’était alors qu’un Ange). Cette guerre se solda par la victoire des Anges michaëliques, qui s’étaient séparés de la Terre afin d’agir sur elle à distance, sur les Anges rebelles qui entraînèrent dans leur chute le tiers des Anges. Les êtres retardés de l’ancien Saturne sont les Archées déchus, les Asuras ; ceux de l’ancien Soleil  sont ahrimaniens, les Archanges déchus ; et de l’ancienne Lune sont les Anges déchus, lucifériens(7).
 
Après les périodes cosmiques de l’ancien Saturne, l’ancien Soleil et l’ancienne Lune, vient la Terre. Son développement se divise en sept Grandes Époques : Polaire (-68 707), Hyperboréenne (-53 687), Lémurienne (-38 467), Atlantéenne (-22 347), Post-Atlantéenne (de -10 000 à 8000 de notre ère), plus deux autres Grandes Époques qui restent à venir. Durant l’époque Polaire, Adam était uni à Ève, la Vierge Terre Mère, comme par un cordon ombilical ; c’est pourquoi on dit d’Adam qu’il était Fils de la Vierge et du Christ qu’il est le second Adam. En Hyperborée, Adam était mâle-femelle, à l’image de l’Eloha lunaire Yahvé. C’est à cette époque que le soleil d’aujourd’hui se sépara de la masse terre-lune. Durant l’époque Lémurienne, Ève fut « extraite d’une côte d’Adam », ce qui signifie qu’elle est issue de la même « substance d’Ego », c’est-à-dire du sang rouge, capable de supporter un Ego. C’est à ce moment que la lune actuelle fut éjectée de la Terre en train de se minéraliser. Une part de l’humanité commença à se réincarner en Lémurie, mais une autre part resta en retrait, en attendant les conditions plus denses de l’Atlantide, qui permettront d’acquérir la conscience de veille, l’intellect individuel, gage de liberté. Ces retardataires sont les Veilleurs de la Bible, les fils de Seth (fils de Dieu) qui s’unirent sexuellement aux filles de Caïn (filles des hommes)(8). Ils se mêlèrent au reste de l’humanité et, comme Prométhée offrant aux hommes le feu des dieux, ils lui permirent de se diviniser en empruntant la voie de la liberté, pour enfin dépasser l’humanité bon enfant de Yahvé (Zeus).

Un récit kabbaliste raconte qu’avant Ève, Adam eu une première femme : Lilith. Lasse d’être attachée aux côtés d’Adam, elle se déchira de lui, se fit pousser des ailes et s’envola, le laissant seul et bien triste. Elle forniqua jour et nuit avec Lucifer, égorgeant à mesure ses rejetons(9). Pour apaiser Adam, Yahvé créa Ève, mais Lilith se mit en colère et s’unit à la forme du Serpent pour aller dans le Jardin tenter Ève, lui promettant que s’ils prenaient du fruit défendu, ils en obtiendraient la sagesse et deviendraient comme des dieux. L’Archée Lilith joue sur l’ambiguïté sophia/sapiens/serpens ; elle se prend pour la divine Sophia, qui est en fait d’une hiérarchie céleste supérieure, celle des Kyriotetes (Esprits de Sagesse), trois degrés au-dessus des Archées (10).

La tentation par le Serpent Lucifer et la Chute de l’Homme remontent au milieu de la Lémurie. La Bible dit que c’est Ève qui tenta Adam, or cela signifie que l’âme humaine – qui est toujours représentée par une femme - comprit son pouvoir de séduction et en usa pour se satisfaire. C’est ainsi que Lucifer a injecté les passions égoïstes dans le désir : le désir de nourriture, de plaisirs, de possession, la jalousie, l’obsession, etc. L’intelligence, la pensée individuelle qui initie l’expérience personnelle, commença alors à se développer unilatéralement, tel un cancer, étouffant l’intuition profonde. La Chute au sens large signifie donc la vulnérabilité de l’homme à tous les niveaux : dans la volonté, la Chute a entraîné le déclin moral et le péché en général ; dans la pensée, c’est l’erreur et le mensonge ; dans le sentiment, c’est le manque d’amour et le cynisme ; dans la perception, c’est l’émoussement des sens et la surestimation du matériel ; dans les processus vitaux, c’est la maladie ; dans le corps physique, c’est la mort (la fin de l’immortalité) ; enfin, dans la personnalité humaine, c’est l’obsession.    

Le fait d’avoir choisi de prendre le fruit de l’Arbre de la Connaissance du bien et du mal, l’Arbre de la Dualité, l’Arbre de Mort, nous bloqua l’accès à l’Arbre de Vie, qui représente l’immortalité ainsi que le pouvoir sur les forces éthériques supérieures. Depuis, les processus éthériques et métaboliques sont gardées par des entités spirituelles ; l’homme n’y a plus accès. Sans ce blocage, nos corps éthérique et physique auraient vite fait de dégénérer sous l’effet chaotique des passions et des pensées. Yahvé voulait nous protéger du piège de la Chute dans l’expérience sensible en nous offrant non pas le Fruit de la Connaissance (l’Expérience) mais la Connaissance elle-même. Cette Connaissance, contrairement à l’Expérience, nous aurait permis d’entrer directement dans l’Éden. (11) Parce qu’on a confondu le Fruit de l’Arbre de la Connaissance avec la Connaissance elle-même et qu’on a séparé le Fruit de l’Arbre, on s’est soi-même exclu du Jardin.  L’Arbre de Vie était agréable à l’œil (unité) ; l’Arbre de Mort était un délice pour les deux yeux (dualité). Lucifer, qui agit au niveau de la tête, nous ouvrit les yeux, y laissant entrer la lumière, ce qui révéla notre « nudité » (qui signifie en fait que l’Ego est à découvert, révélé). Ayant séparé ce qui était uni, on se trouva jeté dans la dualité de la matière (vies et morts, homme et femme, jour et nuit, temps et éternité, Ciel et Terre, Esprit et Matière). C’est cette même dualité qui est la condition première de l’Expérience de la Liberté individuelle.  

   Lucifer tenta Adam et Ève en leur offrant la lumière de l’intelligence, qui initie l’expérience individuelle. C’est en effet par la tête qu’on s’affranchit du corps et qu’on se dit un « Je ». Or l’effet excitant de Lucifer sur l’intellect menaçait de durcir l’individualité humaine trop tôt. Pour faire contrepoids à l’activité de Lucifer (l’un des six Élohim solaire) sur l’activité cérébrale, l’Eloha lunaire et Créateur de l’homme, Yahvé, créa la lune. La lune est liée à la formation du corps, la reproduction, la génération et l’hérédité. Lucifer n’a de pouvoir que sur la tête ; il n’a aucun pouvoir sur les forces lunaires et yahviques de l’hérédité physique et de la corporéité. C’est pour contrer l’activité de Lucifer divisant les sexes et les races que Yahvé créa la lune, établissant ainsi les liens de sang. En divisant les sexes, un sexe introverti féminin et un sexe extroverti masculin, Lucifer espérait déclencher une guerre des sexes, semer le désordre, le diabole.(12) Par l’union charnelle des opposés sexuels complémentaires, symbole de l’amour infini qui est à l’œuvre dans la création, Yahvé a réuni ce qui a été séparé par Adam sous l’influence de Lucifer. On peut constater par soi-même que les premières bases de l'amour sont liées à la famille, au sang, à l'hérédité, donc à la lune. Le seul moyen de transformer l’égoïsme en altruisme était de faire de l’amour, qui porte vers l’union des opposés, le moteur de la vie, faisant en sorte que les sexes doivent obligatoirement s’unir pour se reproduire. L’amour s’est d’abord manifesté à travers l’instinct naturel de la sexualité physique. Il devint ensuite Éros - l'aspect de l’amour plus lié à l'âme et à l’astral – pour enfin se réaliser dans l’Agape : l'amour le plus pur fondé sur la loyauté entre deux Ego voulant se connecter à la destinée de l’autre. Par la seule influence de Lucifer, la liberté et l’individualité auraient fait de nous des égoïstes prématurément. Yahvé fit en sorte que l’autre sexe devint l’être aimé, étendant l’amour de soi aux liens amoureux, puis à la famille, à la tribu, à l’ethnie, à la race(13). C’est seulement beaucoup plus tard que Jésus-Christ put libérer l’amour de l’emprise des liens de sang pour le fonder désormais sur une base individuelle et ainsi le rendre à l’universel humain, renouvelant enfin l’Ancienne Loi de Yahvé (14).

Lucifer se serait incarné dans un corps humain en Chine vers l’an 2000 avant notre ère. Il aurait été le premier homme à comprendre les lois cosmiques par ses propres facultés logiques et à pouvoir les formuler. Il posa ainsi les bases d’une doctrine qui se répandit dans tout le monde oriental : le paganisme. Ce paganisme, dans lequel l’homme se sentait comme un membre du cosmos, fut le terreau dans lequel se développa le judéo-christianisme, qui, tel un oasis dans le désert, amena la première véritable impulsion morale (15). Toute l’époque Égypto-Chaldéenne-Babylonienne (-2907 à -747), placée sous le signe du Taureau, est le témoin de la grande tradition de sagesse luciférienne(16). Par exemple, Mithra, sacrifiant le Taureau correspond à Michaël terrassant Lucifer. Les cultes d’une divinité solaire, fils d’une déesse mère lunaire, étaient en fait lucifériens, car le Christ et Lucifer ont la même Vierge-Mère (17). Le catholicisme, avec sa Madone qui porte l’Enfant, est une reviviscence du culte mithriaque, comme en témoigne le port de la coiffe mithriaque par les Papes et les évêques.  Mais c’est aussi cette grande sagesse païenne « porteuse de lumière », mère des grands mythes et philosophies grecques, qui permit aux premiers chrétiens gnostiques de comprendre le Christ. En effet, sans la connaissance du Christ cosmique et sans l’aspiration luciférienne à vouloir remonter vers les cieux, la fonction du Rédempteur ne va pas de soi. Or la fuite du monde vers le spirituel, que valorisent Platon et les gnostiques (tous platoniciens), de même que le désir de mettre un terme aux réincarnations pour atteindre le nirvâna, témoignent d’un rejet de l’incarnation typiquement luciférien. Certains gnostiques affirment même que le Christ ne s’est jamais incarné et d’autres qu’il n’a jamais été crucifié! La Théosophie de Helena Petrovna Blavatsky, qui présente Lucifer comme le Maître spirituel et Illuminateur ultime, a pris un tournant redoutablement luciférien avec Annie Besant et Alice Bailey (18). Imitant les gnostiques, la Théosophie attribue les traits lucifériens négatifs au Créateur du monde matériel (le Démiurge de Platon), elle identifie la matière et son créateur au mal et la lumière spirituelle à Lucifer. L’ancienne Gnose préchrétienne est le Graal de la Théosophie : c’est un Graal luciférien puisqu’il ne porte pas en lui le sang du Christ, parce que sa Sagesse luciférienne, tournée vers le passé, n’a pas été transformée par l’Amour du Christ. Pourquoi la Théosophie rejette-t-elle Yahvé et le Christ? Parce qu’ils sont à l’origine de la douleur, la maladie, la mort et le karma. En Lémurie, Yahvé a compensé l’introduction de l’égoïsme dans le désir en imposant la mort, la maladie et la douleur comme symptômes indiquant que les passions ont causé du tort au corps. Les injonctions de Yahvé « Si vous en mangez, vous mourrez », « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » et « Tu enfanteras dans la douleur » ne signifient rien d’autre que cela. En Atlantide, le Christ a implanté la loi morale du karma en opposition au mal conscient rendu possible la première fois au milieu de l’époque atlantéenne via l’influence durcissante d’Ahriman sur l’ego et l’intellect humain. Le karma, la rétroaction des actes, paroles et pensées sur leur émetteur, nous apprend la loi morale cosmique selon laquelle on récolte ce que l’on a semé. Rejeter Yahvé et le Christ est donc puéril car les maux douloureux qu’ils nous imposent demeurent les seuls moyens pour l’Homme de prendre conscience des conséquences de ses passions, d’apprendre de ses erreurs pour se parfaire.

Dans la légende du Graal, Lucifer prend les traits de Klingsor, le mage noir armé de la Lance du Destin, s’en servant comme d’un bâton phallique dans ses rites de magie sexuelle (19).  Dans son jardin des plaisirs, Klingsor appâte les chevaliers du Graal avec des femmes sublimes, les entraînant sur la voie de la magie sexuelle/noire. Amfortas, Roi du Graal, tentera de libérer les chevaliers prisonniers ayant succombé à la tentation mais se laissera envoûter par les charmes sensuels des femmes du Jardin de Klingsor. Furieux d’avoir été séduit, Amfortas lance ses chevaliers contre les troupes de Klingsor, mais, dans un moment d’inattention, il perd la Lance aux mains de Klingsor qui le blesse au testicule avec la Lance empoisonnée. Puisque « le roi et son royaume ne font qu’un », le royaume du Graal devint une terre gaste (gâtée, pourrie), malade, en attente de guérison, comme son roi.(20) Seul Perceval saura vaincre Klingsor, récupérer la Lance et guérir le roi. La morale de cette histoire est qu’Amfortas n’aurait pas dû se lancer dans une chasse aux sorcières mais aurait plutôt dû regarder en lui-même, être attentif à sa propre vulnérabilité liée au penchant humain très fort pour la quête de plaisirs et, à plus forte raison, la quête de satisfaction sexuelle, représentée ici par la blessure au testicule. C’est cette même blessure, comme une épine enfoncée profondément dans la chair, qui causa la division intérieure et la répression d’une part de la conscience dans l’inconscient. Amfortas n’aurait pas dû non plus utiliser la Lance (les forces spirituelles) pour se venger(21). Perceval ne s’en servit que pour guérir le roi, après quoi il la rangea aussitôt. Encore aujourd’hui, les influences magiques de Klingsor rayonnent de par le monde, à partir de Chastel Merveil, le château de Kalot Bobot à Terra de Labur en Sicile(22). Par l’union de Klingsor avec Iblis, épouse d’Eblis le Lucifer islamique, des influences durcissantes (lunaires) irradient la planète à partir de nombreux centres de magie noire, causant la formation de fibres mortes et inconscientes dans l’âme (astral), échappant au pouvoir de l’Ego, nous ouvrant à l’influence de démons, de fantômes et de spectres(23). La tâche qui nous incombe est de les revivifier, les éclairer en s’ouvrant à la lumière du Christ.

Si Lucifer n’avait pas injecté l’égoïsme dans le corps astral humain, on n’aurait jamais connu les bassesses dont l’humain est aujourd’hui capable. On serait en accord parfait avec la volonté des hiérarchies célestes, mais on serait resté des êtres sans autonomie, de belles effigies sans liberté, des automates de bonté. Sans l’indépendance et l’autonomie individuelle, qui impliquent une césure avec la volonté des hiérarchies supérieures, on n’aurait jamais pu développer le libre-arbitre. Un amour vrai doit venir librement, sans contrainte. Or la liberté, comme Lucifer, doit être sauvée de l’égoïsme, transmutée par l’amour. Lucifer est représenté par le bon larron crucifié à la droite du Christ à qui il demanda : « souviens-toi de moi lorsque tu entreras au Ciel », ce à quoi le Christ répondit qu’ils y entreraient tous les deux en même temps (24). C’est donc dire que Lucifer est racheté lorsque le corps astral et l’âme humaine qu’il a corrompus regagnent la pureté (catharsis) de la Vierge Sophia, lorsque l’âme humaine (Isis-Sophia-Perséphone), tombée aux mains de Lucifer, renaît de sa mort tragique. Réaliser le Graal implique de transformer le cosmos passé de Sagesse luciférienne en un cosmos futur d’Amour christique. On atteint le Graal en ravivant sa conscience d’être, comme Lucifer, un être spirituel déchu, en vainquant les forces diviseuses du Serpent, en laissant le Christ vivre en soi, bref en devenant graduellement un Graal (gradalis signifie « graduel ») (25). Le salut de Lucifer est le secret de l’Esprit Saint : une fois la Liberté transmutée par l’Amour, l’individualité héritée de la force diviseuse du Serpent deviendra pure comme la Colombe, un véritable Esprit Sain, à la fois saint (holy) et guérisseur (healing).

Notes
1 :    Steiner emprunte à Denys l’Aréopagite sa terminologie des hiérarchies célestes, intermédiaires divins entre l’homme (la dixième hiérarchie tout au bas) et la Trinité : de bas en haut, les Anges (Gardiens), les Archanges (des Peuples), les Archées (du Temps), les Exusiai ou Élohim ou Puissances (Esprits de la Forme), les Dynamis ou Vertus, les Kyriotetes ou Esprits de Sagesse ou Dominations, les Trônes, les Chérubins et les Séraphins.  

2 :   C’est sous l’effet des forces lucifériennes venant du cosmos extérieur que les planètes, originellement spirituelles, se sont repliées sur elles-mêmes, ont acquit une rotondité et une matière visible. De même, l’or est un métal luciférien en ce qu’il est fait de lumière minéralisée, de lumière qui s’est repliée sur soi, qui s’est densifiée.

:   En ressuscitant l’ancienne clairvoyance, Lucifer nous entraîne dans son royaume perdu, la huitième sphère, hors du chemin normal, septénaire, de l’évolution  humaine et terrestre. Celle-ci fera l’objet d’un prochain article.

4 :   Religion de non-violence absolue à vocation universaliste, répandue de la Gaule à la Chine en passant par l’Afrique du Nord, le manichéisme fut la religion de l’empire Perse de l’an 250 de notre ère à sa brutale éradication au VIIe siècle. Tel un « Bouddha occidental » et un « Christ oriental », Mani incitait à transformer le mal au lieu de le combattre. Il se proclame « Sceau des Prophètes » près de quatre siècles avant que Mahomet ne s’approprie le titre.

5 :   Le Vishvakarman des Hindous, l’Ahura Mazda des Perses, l’Osiris ses Égyptiens, l’Apollon des romains, c’est toujours les six Élohim solaires, l’Être solaire, le Christ sous ses différents aspects.

6 :   À l’image des jours de la semaine, la cosmogénèse de Steiner débute avec l’ancien Saturne, le chaos de pure chaleur habité par les Archées, alors à leur stade humain, et où l’homme développe le germe du corps physique. Après une nuit cosmique (le pralaya des hindous), débute l’ancien Soleil, où les Archanges y vivent leur stade humain. Ce Soleil central, qui n’est pas le soleil actuel, étend ses influx spirituels vers la masse extérieure où l’homme développe son corps éthérique. Après une autre nuit cosmique, débute le stade de l’ancienne Lune, où l’homme développe le corps Astral et où les Anges vivent leur stade humain. Répétant le stade solaire, une sorte de soleil divin se sépare de la masse de matière fluidique unissant terre et lune, pour l’irradier de ses influx spirituels. Après une autre nuit cosmique, débute le stade actuel de la Terre. Les stades précédents se répètent et six Élohim s’établissent dans le soleil actuel, se séparant de la Terre afin de durcir la terre à distance par leur action spirituelle, permettant à l’homme d’atteindre la conscience de soi. L’Eloha Yahvé éjecte la lune pour éviter que la terre se durcisse trop. Dans le stade suivant, Jupiter (rien à voir avec la planète actuelle), la Jérusalem Céleste se réalise et la terre spiritualisée devient un soleil. Après une nuit cosmique, Jupiter sera suivi de Vénus, où le Jugement Dernier (666) séparera les bons des mauvais. Le cycle se clôt avec Vulcain, où l’homme devient lui-même Créateur.

7 :   Comme Lucifer, les formes de vie parasitaires sont des êtres retardataires de l’ancienne Lune. Dans la mythologie germanique, Loki (Lucifer) tue Odin-Baldur en l’empoisonnant avec du gui, un parasite du chêne. Le gui ne peut métaboliser les minéraux par lui-même, il doit parasiter un autre végétal qui fait le travail pour lui. L’humain, quant à lui, est parasité par le Double, qui s’attache à l’embryon humain et le tourmente afin de se nourrir de l’énergie émotionnelle (astrale) générée par l’incertitude et l’anxiété.

8 :   Genèse, 6 : 1-4. De cette union naquirent des géants qui séduisirent les Atlantes, les menant à leur perte.
9 :   L’égorgement des bébés de Lilith signifie que les formes-pensées astrales issues de la sexualité pervertie ne peuvent porter l’Ego et deviennent des êtres astraux sans Ego, des démons appelés Asuras. Ceux-ci menacent l’unité même de l’Ego en le soumettant à l’esclavage des instincts inférieurs. « Le sommeil de la raison engendre des monstres » (Goya). Or la « fornication avec la matière » n’est pas nécessairement de nature sexuelle, elle consiste d’abord à vivre et à penser de façon matérialiste : croire que « la sexualité explique tout » ou vivre sa sexualité – le réchauffement du sang – à travers le nationalisme, le chauvinisme, le fanatisme, l’esprit partisan. Dans l’Apocalypse, la Grande Prostituée de Babylone fait couler le sang des saints ; de même, le sensuel fait couler le sang du spirituel.

10 :   Pour les gnostiques chrétiens, Sophia est le seul aspect de Dieu accessible à l’homme. Elle est Sagesse et purification (catharsis) de l’Astral, comme l’Esprit Saint est le salut de Lucifer (corrupteur de l’Astral). La perte  tragique d’Isis-Sophia (Perséphone, l’âme humaine) aux mains de Lucifer signifie que l’abstraction luciférienne (notamment astronomique et théologique) nous empêche de voir Isis-Sophia, la Reine du Ciel, dans les étoiles.

11 :   Le Jardin n’est pas l’Éden, il est l’antichambre préparatoire à l’Éden. L’Éden est le Paradis.

12 :   Selon Légende rosicrucienne du Temple, Adam et Ève furent créés par l’Éloha Yahvé selon sa propre image bisexuée. Caïn, le rejeton de Lucifer et Ève, représente le masculin, et Abel,  fils d’Adam et Ève, représente le féminin. Caïn tuant Abel signifie que l’intellect étouffa l’intuition profonde, féminine. La séparation des sexes apparut avec Seth, qui remplaça Abel. Dans le futur, la race d’Abel-Seth développera les qualités caïnites, lucifériennes, de l’enthousiasme, alors que la race de Caïn, enflammée de désirs, acquerra la sagesse caractéristique de la race d’Abel-Seth. Selon la même Légende, l’architecte du Temple de Salomon, Hiram, descendant (et réincarnation) de Caïn, prédit, avant de mourir assassiné par trois mauvais apprentis à qui il refusa de révéler ses secrets maçonniques, qu’un de ses descendants terminerait son chef-d’œuvre, restaurant le Temple et sa mer de fonte (1 Rois, 7 :23),  qui représentent, comme le Sceau de Salomon, l’union du feu de Caïn et de l’eau d’Abel-Seth.

13 :   L’Éloha Yahvé était le Dieu du Peuple Élu, du sang Hébreu. Pour préparer l’incarnation du Christ dans la lignée de David, Michaël, a veillé sur elle en tant qu’émissaire de Yahvé. D’Archange des Hébreux, Michaël a progressé au rang d’Archée du temps (1879 à 2300). Comme l’ombre portée de Michaël, Mammon (Ahriman), dieu du matérialisme, règne sur les mondes inférieurs en même temps que lui. Gardien de la Pensée cosmique, Michaël veille à ce que la pensée humaine trouve sa voie vers la science spirituelle en toute liberté, par son propre effort.

14 :   « Je ne suis pas venu porter la paix  mais le glaive » (Mt. 10 : 34).  « Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre. Non, vous dis-je, mais la division. Car désormais s’il y a cinq dans une maison, elles seront divisés : trois contre deux, et deux contre trois » (Luc 12 : 51). « Quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux, celui-là est mon frère et ma sœur et ma mère » (Mt, 12 :50).

15 :   Jean-Baptiste traitait de « bande de vipères » (Luc, 3 :7 ; Mt. 3 :7) les païens qui adoraient les astres, le monde extraterrestre, à travers le culte du Serpent.

16 :   L’Incarnation du Christ agissant tel un pivot, un axe de réflexion dans l’évolution historique, l’époque actuelle (1413-3574) reçoit les Imaginations, christiques ou matérialistes, des Anges de l’époque Égypto-chaldéenne.

17 :   Isis mère d’Horus, EA (SophEA : Sophia) mère de Marduk (Michaël), Ishtar mère d’Ishkur-Yahvé, Sémiramis mère de Tammuz, Astarté-Innana épouse de Baal, Athéna, etc., sont associées à Vénus et à la Lune.

18 :   Steiner dit s’être servi de la Théosophie comme d’une estrade pour rendre compte de ses propres recherches. Il reconnaissait volontiers qu’à ses débuts la Théosophie était inspirée par de grands maîtres rosicruciens. Il prit la direction de la branche allemande occidentale de la Théosophie avant de s’en dissocier en raison d’un différend avec Annie Besant, leader de la branche orientale, qui prenait Krishnamurti pour le Christ réincarné.    

19 :   En perçant le flanc du Christ en croix avec cette Lance, le soldat romain compatissant Longinus permit la réalisation de la prophétie messianique voulant qu’ « aucun des ses os ne soit brisé ».

20 :   Parce que l’Astral a été infecté par Lucifer et que l’Ego est (comme le Christ) maître des éléments, l’homme entraîne dans sa chute les Élémentaux (Etres Éthériques) et l’environnement.

21 :   L’utilisation des forces spirituelles pour des fins égoïstes est le commencement de la  magie noire.

22 :   Aleister Crowley fonda en 1920 au même endroit son centre de magie noire/sexuelle, l’Abbaye de Thélème.

23 :    Le Double éthérique est un être ahrimanien, méphistophélique, lié aux influx nerveux, à l’électricité et au magnétisme terrestre. Il se tient sur le seuil de l’inconscient, bloquant l’accès aux mondes spirituels tel un « Gardien du Seuil » et se charge que des coups du destin nous frappent, du moins, tant qu’on ne l’a pas confronté et qu’on n’a pas pris en main nos responsabilités karmiques. On ne s’en libère qu’en prenant la responsabilité de le transformer.

24 :   Évangile de Luc, 23 : 42.

25 :   Épître de Paul aux Galates, 2 : 20.

Pour en savoir plus…
STEINER, Rudolf (écrits et recueils de conférences)
2001   The Holy Grail: selections from the works of Rudolf Steiner
2001   The Goddess: selections from the works of Rudolf Steiner
1919   Lucifer et Ahriman
1910   La Science de l’Occulte
1909   The Deed of Christ and the Opposing Spiritual Powers: Lucifer, Ahriman,
Mephistopheles, Asuras
1906   The Temple Legend: Freemasonry and related occult movements
1905   The Occult Movement of the Nineteenth Century
1904   Mythes et légendes et leurs vérités occultes
1904   Cosmic Memory

NESFIELD-COOKSON, Bernard
1998   Michael and the Two-Horned Beast: the challenge of evil today in the light on Rudolf Steiner’s science of the spirit.

PROKOFIEFF, Sergei O.
1993   The East in the Light of the West. Two Eastern Streams of the Twentieth Century in the Light of Christian Esotericism. Part 1: Agni Yoga.

SEASE, Virginia et Manfred SCHMIDT-BRABANT
2003   Paths of the Christian Mysteries: From Compostela to the new world.